Lettre-décision n° CONF-4-2017

VERSION ÉPURÉE
le 28 février 2017
DEMANDE déposée par Univar Canada Ltd. contre la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP), conformément aux articles 25.1 et 113 à 116 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC); ET RELATIVE à une audience publique tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) les 13 et 14 octobre 2016.
Numéro de cas : 
15-04576

TRIBUNAL

Scott Streiner – Président de la formation, Président et premier dirigeant, Office des transports du Canada

Stephen Campbell - Membre, Office des transports du Canada

William G. McMurray - Membre, Office des transports du Canada

PARTICIPANTS

Forrest C. Hume – Avocat pour Univar Canada Ltd.

John Landry – Avocat pour Univar Canada Ltd.

Simon R. Coval – Avocat pour la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique

Sylvie Lang – Avocate pour la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique

RÉSUMÉ

[1] Univar Canada Ltd. (Univar) a déposé auprès de l’Office des transports du Canada (Office) une demande contre CP alléguant que CP a manqué à ses obligations en matière de niveau de services en conséquence d’un incendie survenu le 9 juillet 2014, lequel a endommagé le pont ferroviaire Marpole (pont Marpole), en direction sud à partir de l’épi Marpole, qui permet à CP de fournir des services ferroviaires directs à l’installation d’Univar à Richmond (Colombie-Britannique) [installation].

[2] Univar demande que l’Office conclue que CP a manqué à ses obligations en matière de niveau de services pour la réception, le chargement, le transport et la livraison des marchandises en direction et en provenance de l’installation, et qu’il ordonne à CP :

  1. de réparer le pont Marpole et de recommencer à fournir le service ferroviaire, et de s'acquitter de ses obligations en matière de niveau de services en direction et en provenance de l’installation;
  2. d’indemniser Univar, en vertu de l’alinéa 116(4)c.1) de la LTC, de toutes les dépenses qu’elle a supportées en raison du manquement, par CP, à ses obligations, y compris de ses frais juridiques, jusqu’à ce que CP recommence à fournir le service ferroviaire à l’installation. Univar demande que l’indemnisation soit payée par CP sur une base mensuelle. Sinon, Univar demande que ses frais juridiques pour la présente instance soient adjugés en sa faveur, aux termes de l’article 25.1 de la LTC.

[3] CP nie avoir manqué à ses obligations en matière de niveau de services et affirme avoir été incapable de fournir le service ferroviaire direct à Univar en raison d’un cas de force majeure. Elle demande que l’Office rejette la demande.

[4] Les questions à régler dans le cas présent sont les suivantes :

  1. CP a-t-elle manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers Univar?
  2. Le cas échéant, à quelle indemnisation Univar a-t-elle droit?
  3. L’Office devrait-il accorder à Univar l’adjudication de ses frais juridiques?

[5] Pour les motifs énoncés plus bas, l’Office conclut que :

  1. Une fois que CP a cessé de fournir les services après l’incendie qui a endommagé le pont Marpole, elle était en situation de manquement à ses obligations en matière de niveau de services, soit de fournir un service ferroviaire direct à Univar, sauf du 10 juillet 2014 au 9 juillet 2015 (première pause raisonnable) et du 11 mars 2016 au 10 juin 2016 (deuxième pause raisonnable). CP est toujours en situation de manquement à ses obligations depuis la fin de la deuxième pause raisonnable et le restera tant qu’elle ne recommencera pas à fournir le service ferroviaire direct à Univar en remettant en état le pont Marpole, ou qu’elle ne sera pas libérée de son obligation d’exploiter la ligne en vertu de l’article 146 de la LTC. Pour être libérée de son obligation, CP doit mener à bien le processus de transfert et de cessation d’exploitation prévu à la partie III, section V de la LTC (processus de cessation d’exploitation).
  2. Univar a droit à une indemnisation pour les dépenses qu’elle a supportées en conséquence du manquement par CP à ses obligations en matière de niveau de services, à compter de la fin de la première pause raisonnable jusqu’au début de la deuxième pause raisonnable, puis à compter de la fin de la deuxième pause raisonnable jusqu’à ce que CP recommence à fournir le service ferroviaire direct à Univar en reconstruisant le pont Marpole, ou qu'elle mène à bien le processus de cessation d’exploitation.
  3. L’Office rejette la demande d’Univar concernant l’adjudication de ses frais juridiques.

CONTEXTE

[6] Univar est un distributeur canadien de produits chimiques et de produits et services connexes. Elle achète des produits d’un réseau mondial de producteurs et de fabricants pour l’entreposage et le remballage dans un réseau d’installations de distribution. Les produits fournis par Univar sont utilisés dans une gamme d’industries, y compris les mines, les usines de pâtes et papiers, la peinture et les revêtements, le pétrole et le gaz, le traitement des eaux, l'alimentation, les produits nettoyants domestiques et industriels, et les produits pharmaceutiques.

[7] CP est une compagnie de chemin de fer de compétence fédérale.

[8] Les parties n’ont pas de contrat confidentiel. Univar a expédié précisément [SUPPRESSION], aux termes d’un tarif avec CP.

[9] L’installation d’Univar est située sur l’île de Richmond (Colombie‑Britannique) et sert d’usine de distribution de produits chimiques et de bureau principal pour ses services administratifs. La voie d'évitement privée de l’installation fournit à Univar un accès à la ligne de chemin de fer de CP par l'intermédiaire de la voie d'accès industrielle Van Horne de CP, à son tour reliée à l’épi Van Horne de CP. Le pont Marpole, situé sur l’épi Van Horne, est le seul lien ferroviaire direct à l’installation d’Univar. Univar n’a d’accès direct à aucune autre compagnie de chemin de fer à partir de son installation, et elle est le seul expéditeur desservi par CP au sud du pont Marpole.

[10] Le pont Marpole est un pont à travée tournante enjambant le bras nord du fleuve Fraser et reliant Vancouver à Richmond. CP a été locataire ou propriétaire du pont depuis sa construction en 1902.

[11] Le 9 juillet 2014, un incendie a endommagé 10 travées sur chevalets en bois, des traverses du tablier sur la travée d’approche en acier, et le système de contrôle de la travée tournante du côté nord du pont Marpole. L’incendie a été causé par un tiers inconnu. La travée tournante et la culée sud n’ont pas été endommagées par l’incendie. Le 10 juillet 2014, CP a mis un embargo sur toute circulation ferroviaire sur le pont.

[12] Le 29 juillet 2014, CP a informé Univar qu’un cas de force majeure avait été déclaré et qu’elle ne pouvait pas lui fournir le service ferroviaire direct sur le pont Marpole en raison des dommages causés par l’incendie. En mai 2015, CP a renforcé le pont endommagé afin de rapatrier 23 wagons ferroviaires vides coincés à l’installation. Depuis l’incendie, CP n’a pas traversé le pont Marpole avec des wagons ferroviaires chargés. De plus, CP n’a pris aucune mesure pour réparer le pont Marpole ou pour entamer un processus de cessation d’exploitation.

[13] Le 29 septembre 2015, Univar a déposé une plainte auprès de l’Office, qui comprenait une requête de confidentialité en vertu de l’article 31 des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104 (Règles pour le règlement des différends).

[14] Dans sa demande, Univar fait valoir que le manquement par CP à fournir le service lui a causé d’importantes pertes financières et sur le plan de sa réputation. Univar affirme qu’elle a [SUPPRESSION]. Univar indique que, comme son installation n’a d’accès direct à aucune autre compagnie de chemin de fer, elle a été forcée de prendre d’autres dispositions pour acheminer ses marchandises, et qu’aucune n’est aussi convenable, efficace ou économique que le service ferroviaire direct. Univar indique que [SUPPRESSION].

[15] Dans la décision n° LET-R-7-2016 du 25 février 2016, l’Office a conclu que les questions soulevées dans la demande étaient suffisamment complexes pour justifier la tenue d'une audience publique.

[16] Dans le cadre de l’instance, CP a présenté des preuves supplémentaires informant l’Office que le 10 mars 2016, un chaland était entré en collision avec le pont Marpole. CP indique avoir déclaré un autre cas de force majeure. CP a également présenté d’autres preuves concernant deux autres collisions de chaland avec le pont Marpole, une survenue le ou vers le 19 mai 2016 et l’autre le 30 juillet 2016.

[17] L’Office a mené une audience publique les 13 et 14 octobre 2016 à Vancouver.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

Caractère confidentiel des renseignements dans le recueil condensé conjoint

[18] Dans la décision n° LET-R-32-2016 du 19 juillet 2016, les parties ont reçu comme directive de déposer un recueil condensé à reliure, avant l’audience ou la journée même, renfermant des extraits des archives auxquels les parties se référeraient pendant leur plaidoyer.

[19] Avant l’audience du 13 octobre 2016, les parties ont déposé auprès de l’Office, avec le recueil condensé, le résumé de leur plaidoyer respectif. Ces résumés font partie du recueil condensé conjoint déposé par les parties dans le cadre de l’audience. Le résumé de CP renferme une requête de confidentialité. Deux versions du recueil condensé ont été déposées, soit une version publique et une version confidentielle.

[20] Les renseignements supprimés dans le recueil condensé cadrent avec les renseignements qui ont été confirmés par l’Office comme étant confidentiels tout au long des instances. L’Office a conclu que les renseignements supprimés étaient sensibles sur le plan commercial et pertinents au cas présent, et que leur communication au public causerait probablement un préjudice direct et précis à Univar ainsi qu’à CP, et que l’intérêt public dans la communication de tels renseignements ne prime pas sur l’important préjudice potentiel que pourraient subir les parties. En conséquence, la version publique du recueil condensé sera versée aux archives publiques de l’Office, tandis que la version confidentielle sera versée aux archives confidentielles de l’Office.

Dépôt par CP de renseignements communiqués sous toute réserve entre les parties

[21] Dans sa réponse à la demande, CP a soumis plusieurs communications échangées entre les parties concernant les négociations d’une entente concernant ce différend, dont certaines étaient marquées « sous toute réserve ». Univar affirme dans sa réplique que de telles communications devraient être jugées inadmissibles, à moins que les deux parties renoncent au privilège. Univar affirme ne pas avoir renoncé au privilège, sans toutefois demander officiellement que la preuve soit retirée des archives. De plus, l’avocat d’Univar a fait référence à quelques-unes de ces mêmes communications au cours de l’audience publique.

[22] L’Office s’est penché sur cet argument pendant l’audience, notant que ni l’une ni l’autre des parties n’a déposé de demande officielle pour que la preuve soit retirée des archives. En conséquence, l’Office a déterminé que la preuve resterait dans les archives, mais qu’il lui accorderait, à sa discrétion, l’importance qu’elle mérite.

LA LOI

[23] La demande devant l’Office soulève des questions qui concernent directement l’obligation en matière de niveau de services que le législateur impose aux compagnies de chemin de fer aux articles 112 à 116 de la LTC. Cette demande porte aussi, de façon indirecte, sur le régime statutaire permettant à une compagnie de chemin de fer de mettre fin à son obligation d’exploiter une ligne de chemin de fer en vertu de l’article 146 de la LTC.

[24] Pour la détermination de l’issue de cette demande, l’article 112 de la LTC exige que les prix et les conditions visant les services fixés par l’Office au titre de la section IV de la LTC soient « commercialement équitables et raisonnables vis-à-vis des parties ».

[25] Les articles 113 à 116 de la LTC définissent les obligations d’une compagnie de chemin de fer en matière de niveau de services concernant les marchandises à transporter par chemin de fer. Ces articles n’ont guère changé par rapport à ceux de la Loi de codification des dispositions sur les chemins de fer de 1851, 14 – 15 Vict., ch. 5, et le législateur les a revus à de nombreuses reprises. Ils permettent un recours aux expéditeurs afin de réduire les iniquités dans les pouvoirs de négociation avec des compagnies de chemin de fer.

[26] Les articles 113 à 115 de la LTC établissent les obligations en matière de niveau de services des compagnies de chemin de fer de compétence fédérale, et prévoient qu’une compagnie de chemin de fer doit fournir, dans le cadre de ses attributions, des installations convenables pour la réception, le chargement, le transport, le déchargement et la livraison des marchandises à transporter par chemin de fer.

[27] L’article 116 de la LTC exige que, sur réception d’une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations, l’Office mène l’enquête qu’il estime indiquée. S’il conclut qu’une compagnie de chemin de fer ne s’est pas acquittée de ses obligations en matière de niveau de services, l’Office a le pouvoir d’ordonner des mesures de réparation selon la nature du  manquement à une obligation de services.

[28] Pour que l’Office soit convaincu qu’une compagnie de chemin de fer n’a pas manqué à ses obligations en matière de niveau de services, cette dernière doit présenter des preuves qui démontrent les efforts qu’elle a déployés en vue de fournir des installations convenables pour le transport des marchandises de l’expéditeur ou encore présenter des raisons convaincantes justifiant pourquoi elle n’est pas en mesure de répondre raisonnablement à la demande de l’expéditeur.

[29] La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont interprété les dispositions législatives portant sur le niveau de services en fonction du critère du caractère raisonnable.

[30] Dans l'affaire Patchett & Sons Ltd c. Pacific Great Eastern Railway Co., (1959) S.C.R. 271 (Patchett), la majorité a conclu que les obligations des compagnies de chemin de fer en matière de niveau de services ne sont pas absolues mais plutôt relatives et que le devoir d’une compagnie de chemin de fer est [traduction] « empreint du caractère raisonnable dans tous les aspects de ce qu’elle entreprend, à l’exception de sa responsabilité particulière, d’origine historique, à titre d’assureur des biens » (p. 274). Autrement dit, une compagnie de chemin de fer ne peut pas être tenue de s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services s’il n’est pas raisonnablement possible de le faire. Dans les motifs de cette décision, le juge Rand a indiqué que :

[traduction] Le transporteur doit, à tous les égards, prendre des mesures raisonnables pour préserver ses attributions publiques, et sa responsabilité envers toute personne lésée par la cessation ou le refus de service doit être déterminée en fonction de ce que la compagnie de chemin de fer, à la lumière de ses connaissances des faits qui lui apparaissent raisonnables, a réellement fait ou peut raisonnablement faire pour régler la situation (p. 275).

[31] Dans la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Northgate Terminals Ltd, [2011] 4 R.C.F. 228 (Northgate), la Cour d’appel fédérale s’est penché sur la façon dont le principe du caractère raisonnable énoncé dans l’affaire Patchett doit être appliqué, et fait valoir que pour rendre une décision relativement à une telle plainte, l’Office doit mettre en balance les intérêts de la compagnie de chemin de fer avec ceux du plaignant dans le contexte des faits particuliers de l’affaire.

[32] Dans la 2014-10-03">décision n° 2014-10-03, l’Office a indiqué ce qui suit concernant le caractère raisonnable :

Il est clair que l’affaire Patchett et le caractère raisonnable n’appuient pas la proposition selon laquelle les obligations en matière de niveau de services n’imposent qu’une obligation souple aux compagnies de chemin de fer. Les compagnies de chemin de fer doivent fournir des installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison de marchandises, conformément aux exigences de l’expéditeur, à condition que ce dernier ait adéquatement déclenché les obligations en matière de niveau de services. À cet égard, la compagnie de chemin de fer doit se conformer à ces obligations, à moins qu’elle puisse démontrer que cela n’est pas raisonnablement faisable.

[33] Dans la 268-R-2013">décision n° 268-R-2013, l’Office a conclu que la décision de dégager une compagnie de chemin de fer de ses obligations légales ne devrait pas être prise à la légère, et qu’un tel dégagement de responsabilité devrait être décidé en fonction des circonstances de chaque cas. L’Office a affirmé que :

Dans l’affaire Patchett, la CSC a conclu que le devoir statutaire imposé à une compagnie de chemin de fer n’était pas absolu et que l’obligation d’une compagnie de chemin de fer était déterminée par le caractère raisonnable et qu’elle dépendait de toutes les circonstances. Bien que cette obligation ou ce devoir statutaire, comme l’a affirmé la CSC, s’accompagne de l’obligation d’agir de façon raisonnable, l’Office est d’avis que cela ne change pas le fait que la compagnie de chemin de fer a un devoir statutaire de s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services, à moins, par exemple, qu’elle soit incapable de le faire sans qu’il y ait faute de sa part. Une compagnie de chemin de fer ne devrait pas être libérée de ses obligations en matière de niveau de services à la légère et l’obligation de la compagnie de chemin de fer en matière de niveau de services envers ses expéditeurs devrait être examinée au cas par cas en fonction du caractère raisonnable.

[34] En conséquence, l’Office a conclu que les coûts imposés à une compagnie de chemin de fer par une tierce partie ne constituent pas nécessairement un cas de force majeure. En général, on s’attend plutôt à ce qu’une compagnie de chemin de fer assume les coûts nécessaires pour entretenir sa ligne et s’acquitter de ses obligations statutaires en matière de niveau de services, sauf si les coûts pour le faire sont à ce point disproportionnés qu’il est justifié d’exempter la compagnie de chemin de fer de son devoir statutaire de fournir le service.

[35] L’Office est d’avis que la décision du Comité du transport ferroviaire de la Commission canadienne des transports (CCT) dans l’affaire Canadian Pacific Limited (Esquimalt and Nanaimo Railway Company) [1976] CCT 353 (décision de 1976) est pertinente au cas présent. Cette décision porte sur le défaut de CP de reconstruire deux ponts pour rendre une ligne de chemin de fer opérationnelle.

[36] Dans cette décision, le CCT a indiqué ce qui suit :

[…] Si elle sentait que, financièrement, il était déraisonnable de reconstruire ces ponts, elle aurait alors dû se prévaloir des dispositions de la Loi sur les chemins de fer qui lui permettent de demander à la Commission d’abandonner une ligne. C’est précisément là l’objet de ces dispositions; cependant, si la Compagnie ne peut répondre aux exigences qu’on y pose, elle a l’obligation statutaire de maintenir le service sur sa ligne.

[…]

En tout état de cause, ayant abandonné l’exploitation de sa ligne sans approbation et contrairement à l’article 6 de la Loi sur les chemins de fer, CP demande maintenant au Comité d’approuver rétroactivement tout ce qui n’a pas été fait, c’est-à-dire de ne pas ordonner à la Compagnie de reconstruire ces ponts et rendre la ligne exploitable. Le Comité ne peut pas excuser la façon de procéder employée par CP, alors il permettrait à a la Compagnie de faire indirectement ce qu’elle ne peut faire directement excepté en présentant une requête en abandon, conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur les chemins de fer, soit les articles 106 et 252 et les suivants. Si le Comité accédait aux demandes de la Compagnie, non seulement approuverait-il la conduite illégale de CP jusqu’à maintenant à l’égard de cette ligne, mais il lui permettrait de recourir à cette méthode pour l’avenir à l’égard d’autres lignes de chemin de fer, afin de contourner non seulement les articles relatifs à l’abandon, dans la Loi sur les chemins de fer, mais l’article 262 également.

En d’autres termes, en accédant à la requête de CP le Comité lui permettrait sans réserve, maintenant et à l’avenir, d’aller à l’encontre des obligations statutaires que lui impose la Loi sur les chemins de fer, et d’abandonner des lignes de chemin de fer, qu’elles soient rentables ou non, qui ne pourraient l’être autrement, suivant la loi. Les articles de la loi touchant l’abandon n’auraient aucune raison d’être si une compagnie pouvait échapper à leur application en évitant simplement de maintenir des lignes de chemins de fer pour ensuite cesser indirectement mais effectivement, de les exploiter. Une telle façon de faire rendrait inopérant l’article 262(1) dont l’application serait laissée au bon vouloir de la compagnie alors qu’elle est obligatoire. La Loi sur les chemins de fer a été adoptée afin de dicter aux sociétés intéressées ainsi qu’à la Commission certaines lignes de conduite et lorsqu’elle précise une marche à suivre les deux doivent s’y conformer. Comme pour toute autre loi, nul ne peut faire indirectement ce qu’il n’est pas autorisé à faire directement.

[37] La décision de 1976 explique clairement qu’une compagnie de chemin de fer ne peut pas se libérer de façon permanente de ses obligations statutaires par des moyens indirects, en décidant de ne pas remettre une ligne de chemin de fer en état. Plutôt, si une compagnie de chemin de fer estime qu’il serait déraisonnable d’un point de vue financier de remettre en état une ligne de chemin de fer, la compagnie de chemin de fer doit suivre les étapes prescrites par la loi pour transférer ou cesser d’exploiter la ligne.

[38] Le processus de cessation d’exploitation s’applique à toutes les compagnies de chemin de fer relevant de l’autorité législative du Parlement. Aux termes de ce processus, la cessation d’exploitation d’une ligne de chemin de fer est possible seulement après qu’une compagnie de chemin de fer a mené à bien la suite d’étapes prescrites aux articles 141 à 146 de la LTC.

QUESTION 1 : CP A-T-ELLE MANQUÉ À SES OBLIGATIONS EN MATIÈRE DE NIVEAU DE SERVICES ENVERS UNIVAR?

POSITIONS DES PARTIES

Univar

[39] Univar maintient que CP est tenue de fournir le même niveau de services ferroviaires auquel elle avait droit avant l’incendie et que CP sera libérée de ses obligations en matière de niveau de services seulement après avoir mené à bien le processus réglementaire de cessation d’exploitation.

[40] Univar affirme que même si les compagnies de chemin de fer sont habituellement libres d’affecter comme elles veulent des ressources et des biens, cette souplesse existe seulement dans la mesure où elles ne manquent pas à leurs obligations en matière de niveau de services. Univar fait valoir que les dispositions sur le niveau de services indiquent qu’une compagnie de chemin de fer a le devoir de fournir des installations convenables et de transporter les marchandises sans délai. Univar indique qu’en tant que compagnie de chemin de fer de compétence fédérale, CP est tenue de se conformer à ces obligations.

[41] Univar affirme qu’une compagnie de chemin de fer est libérée de ses obligations en matière de niveau de services seulement après qu’une ligne a été vendue, louée ou autrement transférée à une autre compagnie de chemin de fer qui continuera l’exploitation, ou qu’une compagnie de chemin de fer a acquis le droit de cesser d’exploiter la ligne après avoir respecté les exigences prescrites à la partie III, section V de la LTC. Univar indique que les obligations en matière de niveau de services d’une compagnie de chemin de fer sont en vigueur jusqu’à la fin d’une telle transaction.

[42] Univar fait valoir qu’il revient à CP d’établir qu’elle a des motifs valables de ne pas fournir le service demandé par Univar. Univar indique plus particulièrement que CP doit démontrer [traduction] « qu’il ne lui était pas raisonnablement possible de fournir des installations convenables malgré ses efforts pour le faire, et devant des facteurs manifestement hors de son contrôle ». Univar fait valoir que CP ne sera pas en mesure de s’acquitter de ce fardeau, car il n’y a pas de fondement légitime justifiant son refus de fournir le service ferroviaire sur lequel Univar s’appuie depuis des décennies.

[43] Univar indique que même si la clause de force majeure de CP avait pu être invoquée pour l’incendie du 9 juillet 2014, ce avec quoi Univar n’est pas d’accord, cette clause ne dégage pas indéfiniment CP de ses obligations. Univar laisse entendre qu’à première vue, la clause de force majeure exempte une partie de s’acquitter de ses obligations seulement [traduction] « si leur exécution est empêchée ou retardée par un événement inévitable ou hors de son contrôle raisonnable ».

[44] En ce qui a trait à la collision d’un chaland survenue le 10 mars 2016, Univar indique que CP n’a pas déposé de preuve de mesures qu’elle aurait prises pour réparer le pont, outre retirer des débris tombés dans le fleuve et sécuriser le pont. Univar prétend que dans la mesure où CP n’a rien fait pour réparer les dommages causés par la collision, elle manque à ses obligations de service. Univar affirme que CP ne peut pas s’appuyer sur un cas de force majeure dans ces circonstances.

[45] Univar prétend que le cas de force majeure dans le cas présent n’est pas une question hors du contrôle de CP, et que la solution au cas de force majeure est que CP remette le pont Marpole en état. Univar fait valoir que dans sa propre preuve, CP indique qu’elle peut réparer le pont elle-même; elle a simplement choisi de ne pas le faire.

[46] Univar admet que l’incendie peut, au départ, avoir empêché CP de s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services pendant le peu de temps qu’il lui aurait fallu pour évaluer le pont Marpole et effectuer des réparations provisoires et permanentes, mais CP ne peut pas, en toute crédibilité, affirmer que l’incendie continue de l’empêcher de lui fournir le service. Univar prétend que selon les dispositions tarifaires de CP concernant les cas de force majeure, si une telle force majeure est admise, la compagnie de chemin de fer serait libérée de ses obligations pendant un temps raisonnable après l’incendie. Toutefois, cette disposition exige également que CP prenne toutes les mesures raisonnables pour remédier à la situation le plus tôt possible. Univar indique que même si CP le reconnaît, elle cherche néanmoins à s’appuyer sur la force majeure pour se dégager à indéfiniment de ses obligations.

[47] Univar soutient que si l’incendie avait endommagé un pont sur un tronçon congestionné du réseau de CP, elle aurait mis quelques jours ou semaines à réparer le pont, et non des années. Finalement, Univar fait valoir que CP n’a cité aucun cas de jurisprudence pour soutenir ce qu’elle avance, à savoir qu’un incident relevant d’une force majeure, après qu’il s’est produit, dégage de façon permanente une compagnie de chemin de fer de ses obligations en matière de niveau de services.

CP

[48] CP fait valoir qu’un événement imprévisible, comme l’incendie d’un pont causé par une tierce partie, est exactement ce que l’Office estime être un type d’événement qui empêche de façon légitime une compagnie de chemin de fer de s’acquitter de ses obligations statutaires.

[49] CP fait valoir qu’en vertu de l’article 112 de la LTC, qui régit la totalité de la section IV de la LTC, y compris les articles 113 à 116, les obligations de CP en matière de niveau de services après l’incendie doivent être déterminées par un équilibre commercialement équitable et raisonnable entre les intérêts des parties dans les circonstances particulières du cas.

[50] CP indique qu’en cas de déclaration de force majeure par une compagnie de chemin de fer, les décisions de l’Office et de ses prédécesseurs montrent que la mesure de l’obligation des compagnies de chemin de fer à fournir et, dans certains cas, à financer le service continu de transport de marchandises à des clients, de façon directe ou indirecte, est déterminée au cas par cas et par le caractère raisonnable après l’établissement minutieux d’un juste équilibre entre les impacts et les intérêts des expéditeurs et de la compagnie de chemin de fer. En conséquence, le service de transport de marchandises peut être modifié, suspendu ou terminé selon les besoins réels de l’expéditeur et de la compagnie de chemin de fer et pendant des périodes qui ne concernent pas celles qui pourraient autrement s’appliquer dans une procédure officielle de cessation d’exploitation menée en vertu de la partie III, section V, de la LTC.

[51] CP soutient que l’argument fallacieux d’Univar selon lequel le seul règlement raisonnable – que CP reconstruise le pont et fournisse un service ferroviaire direct – repose sur les coûts de reconstruction du pont. CP fait valoir que ces coûts dépassent [SUPPRESSION], qui sont nécessaires pour des raisons de sécurité et d’environnement. CP estime qu’en ce qui concerne une solution raisonnable à l’incendie du pont et aux besoins opérationnels légitimes d’Univar, il est difficile de comprendre comment une obligation statutaire imposée à CP devrait impliquer une ordonnance exigeant que CP reconstruise le pont Marpole au coût de [SUPPRESSION].

[52] En traduisant ce montant en termes opérationnels, CP affirme que pendant les quatre dernières années complètes avant l’incendie, Univar, le seul expéditeur desservi par la ligne traversant le pont Marpole, a expédié en moyenne [SUPPRESSION] wagons ferroviaires par année. CP fait remarquer que de ces wagons, [SUPPRESSION] font l’objet d’une interconnexion par CP et sont ensuite remis, tout près, à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et à BNSF Railway Company pour le transport de ligne. CP affirme que cela signifie qu’elle ne récupérera jamais son investissement sur un bien ayant une durée de vie de 100 ans. CP fait également valoir que si on lui ordonne de reconstruire et d’entretenir le pont, il s’agira d’une ordonnance indéfinie, qu’il y ait du trafic ferroviaire de marchandises ou non sur ce pont.

[53] CP fait valoir que la reconstruction du pont Marpole n’est pas une solution raisonnable compte tenu des coûts que la mesure implique, du temps nécessaire pour la reconstruction, des incertitudes réglementaires pour les autorisations visant le pont, des faibles volumes de circulation en cause, de l’incertitude entourant les éventuels volumes de circulation, et de la disponibilité d’une option de transbordement immédiate à des points d’entreposage ferroviaire à proximité, une option qu’Univar a utilisée, selon elle, pour [SUPPRESSION] de ses marchandises mêmes avant l’incendie.

[54] CP indique que même si elle ne remet pas en question le fait que, de façon générale, le transport ferroviaire de marchandises est efficace et économique pour Univar et pourrait très bien s’avérer un service optimal pour sa logistique, le droit au Canada n’impose pas d’obligation absolue à la compagnie de chemin de fer ni ne garantit à un expéditeur qu’il obtiendra, en tout temps et à n’importe quel prix, un service identique financé par la compagnie de chemin de fer. CP fait valoir que dans des cas d’interruption de service, ce n’est pas le droit canadien qui s’applique dans des cas de force majeure, si aucune faute n’est imputée à la compagnie de chemin de fer ou à ses mandataires.

[55] CP affirme avoir eu le droit d’invoquer un cas de force majeure conformément à ses tarifs en vigueur à ce moment‑là et aux termes desquels les marchandises d’Univar étaient transportées. CP indique que la disposition tarifaire reflète le traitement par l’Office d’événements qui empêchent de fournir des services continus de transport ferroviaire de marchandises.

[56] En ce qui a trait à la collision d’un chaland survenue le 10 mars 2016, CP affirme que les structures de la travée centrale du pont ont été endommagées et que pour la sécurité de la navigation sur le fleuve, CP a dû relever la travée centrale. CP indique que dans les circonstances, elle n’a eu d’autre choix que de déclarer un autre cas de force majeure visant les services qu’elle fournit à cet endroit.

[57] CP fait valoir que pendant que le pont Marpole est en situation de force majeure, elle ne peut pas raisonnablement s’acquitter de ses obligations et qu’en conséquence, elle ne peut pas être accusée de manquer à ces obligations. CP n’est pas d’accord avec l’affirmation d’Univar selon laquelle la période de force majeure doit se terminer après une durée raisonnable.

[58] En ce qui a trait à la collision d’un chaland survenue le 10 mars 2016, CP fait valoir que peu importe le dommage causé par l’incendie ou une reconstruction possible de cette partie du pont, il est impossible de rétablir le service en raison des dommages causés par la collision.

[59] CP insiste sur le fait qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle reconstruise le pont Marpole, et qu’en conséquence, le cas de force majeur est permanent et l’empêche, de façon permanente, de fournir raisonnablement le service ferroviaire direct sur le pont.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[60] Un examen minutieux des dispositions statutaires pertinentes et de la jurisprudence indiquée dans la section intitulée « La loi » ci-dessus révèle de toute évidence que d’une part, les expéditeurs ont droit à des services de transport ferroviaire continus de leurs marchandises sur une ligne existante, à moins de circonstances extraordinaires et jusqu’à ce que l’exploitation de cette ligne soit dûment transférée ou abandonnée et que, d’autre part, une compagnie de chemin de fer n’est pas tenue de fournir le service qu’elle fournissait auparavant si des facteurs en dehors de son contrôle font en sorte qu’il est impossible ou manifestement déraisonnable de le faire. La façon dont ces facteurs sont pris en compte dépendra des circonstances précises de chaque cas. En règle générale, une interruption de l’obligation, qui existerait autrement, de fournir le service ferroviaire sur la ligne devrait être limitée le plus possible, conformément à l’objectif des dispositions sur le niveau de services.

[61] Plus particulièrement, lorsqu’un cas de force majeure endommage l’infrastructure ferroviaire, il peut être temporairement déraisonnable pour une compagnie de chemin de fer de fournir un service direct en utilisant cette infrastructure. L’Office note que cette approche cadre non seulement avec la loi, mais également avec la définition d’un cas de force majeure qui se retrouve communément dans des ententes et des contrats commerciaux.

[62] En général, cette pause raisonnable représente le temps qu’il faudrait raisonnablement prendre pour réparer les dommages à l’infrastructure causés par un cas de force majeure, en fonction des faits précis du cas. Cette disposition permet qu’une compagnie de chemin de fer ne soit pas tenue de fournir le service ferroviaire s’il devient déraisonnable d’exiger qu’elle le fasse, tandis que l’expéditeur n’est pas privé du service ferroviaire plus longtemps que nécessaire.

[63] Une telle pause raisonnable devrait se distinguer du processus de cessation d’exploitation de la ligne de chemin de fer, où les obligations de la compagnie de chemin de fer relatives à l'exploitation de la ligne de chemin de fer sont supprimées. Tant que ce processus n’est pas mené à bien, une compagnie de chemin de fer ne peut pas être libérée indéfiniment de ses obligations en matière de niveau de services.

[64] L’Office note que les parties conviennent que l’incendie qui a endommagé le pont Marpole le 9 juillet 2014 a été causé par une tierce partie inconnue et que la collision d’un chaland survenue le 10 mars 2016 a aussi été causée par une tierce partie. Les deux incidents ont été en dehors du contrôle raisonnable de CP et d’Univar.

[65] L’Office conclut que ces deux événements ont entraîné des situations de force majeure qui ont fait que, pendant un certain temps, il est devenu déraisonnable pour CP de continuer de fournir le service ferroviaire direct sur le pont Marpole vers l’installation d’Univar. La question soulevée ensuite est la durée de la pause raisonnable.

[66] L’affirmation de CP concernant une cessation prolongée ou indéfinie de ses obligations en matière de services uniquement en raison des coûts de reconstruction du pont Marpole est déraisonnable et contraire aux dispositions en matière de niveau de services de la LTC. La pause raisonnable devrait être limitée au temps dont aurait eu besoin CP pour remettre en état l’infrastructure endommagée en conséquence de chacun des événements de force majeure et recommencer à fournir le service direct à Univar, si CP avait décidé d’entreprendre de telles réparations sans délai.

[67] En ce qui a trait au temps nécessaire pour remettre le pont Marpole en état, CP a présenté avec sa réponse un rapport de la société Hemmera Envirochem Inc. (rapport Hemmera), du 9 novembre 2015, qui précise certains facteurs environnementaux et réglementaires. Il est indiqué dans le rapport Hemmera que l’échéancier global de construction de la travée nord du pont Marpole devrait être de six à huit mois. Y sont également indiqués les divers permis et les diverses autorisations que CP pourrait être tenue d’obtenir avant le début de la construction. Selon le rapport Hemmera, il faut au moins 60 jours ouvrables pour obtenir les autorisations et les permis environnementaux nécessaires, après que les instances réglementaires ont accepté les demandes dûment remplies.

[68] Même si Univar indique qu’elle n’accepte pas les échéanciers de reconstruction estimés par CP, elle n'a pas fourni de preuves pour soutenir cette position. L’Office conclut que les échéanciers établis dans le rapport Hemmera sont raisonnables, surtout compte tenu de la sensibilité environnementale de l’endroit où se trouve le pont Marpole sur le bras nord du fleuve Fraser.

[69] En conséquence, l’Office conclut qu’il était déraisonnable pour CP de fournir le service ferroviaire direct à Univar après le cas de force majeure du 9 juillet 2014, pendant une période de 12 mois directement après l’incendie ayant endommagé le pont Marpole, 12 mois étant la détermination par l’Office du temps raisonnable qu’il aurait fallu à CP pour remettre le pont en état. En conséquence, la première pause raisonnable de l’obligation de service direct de CP s’échelonne du 10 juillet 2014 au 9 juillet 2015.

[70] En ce qui a trait à la collision d’un chaland survenue le 10 mars 2016, l’Office note que la présentation de CP inclut une estimation de 13 semaines pour terminer la reconstruction. Univar indique que cette estimation est trompeuse et qu’il semble qu’il faudrait seulement 10 semaines supplémentaires pour terminer les réparations, compte tenu des travaux qui ont déjà été faits. Univar indique qu’elle n’accepte pas l’estimation de CP, mais elle n'a pas fourni d’élément de preuve convaincant pour soutenir sa position. Selon l’estimation de temps de CP, l’Office conclut que la collision d’un chaland survenue le 10 mars 2016 justifie une deuxième pause raisonnable de 13 semaines pour terminer la construction. En conséquence, la deuxième pause raisonnable s’échelonne du 11 mars 2016 au 10 juin 2016.

[71] Ayant déterminé la première pause raisonnable du 10 juillet 2014 au 9 juillet 2015, et la deuxième du 11 mars 2016 au 10 juin 2016, l’Office note que CP n’a pas encore remis en état l’infrastructure endommagée qui aurait permis de reprendre efficacement le service ferroviaire direct à l’expéditeur, et n’a pas non plus mené à bien un processus de cessation d’exploitation.

[72] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que CP a manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers Univar pendant la période suivant la première pause raisonnable jusqu’au début de la deuxième pause raisonnable, puis pendant la période suivant la deuxième pause raisonnable jusqu’à ce qu’elle recommence à fournir le service ferroviaire direct à Univar en remettant le pont Marpole en état, ou qu’elle mène à bien le processus de cessation d’exploitation.

QUESTION 2 : À QUELLE INDEMNISATION UNIVAR A-T-ELLE DROIT?

[73] En vertu de l’alinéa 116(4)c.1) de la LTC, si l’Office décide qu’une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas des obligations prévues, l’Office peut ordonner à la compagnie d’indemniser toute personne lésée des dépenses qu’elle a supportées en conséquence du non‑respect des obligations de la compagnie.

[74] Dans le cas présent, après la fin de la pause raisonnable, si la compagnie de chemin de fer n’a pas remis en état l’infrastructure endommagée ni recommencé à fournir le service ou mené à bien le processus de cessation d’exploitation, la compagnie de chemin de fer doit indemniser l’expéditeur de toutes les dépenses qu’il a supportées en conséquence du manquement à fournir le service ferroviaire direct. Ces dépenses correspondent à la différence entre les coûts du service ferroviaire direct et ceux de tous services de rechange auxquels l’expéditeur a eu recours.

[75] L’expéditeur doit être indemnisé jusqu’à ce que la compagnie de chemin de fer remette en état l’infrastructure endommagée par un cas de force majeure et recommence à fournir efficacement le service ferroviaire direct à l’expéditeur, ou jusqu’à ce que la compagnie de chemin de fer ait mené à bien le processus de cessation d’exploitation.

[76] L’Office note qu’Univar a fourni une liste des dépenses qu’elle affirme avoir supportées en conséquence du manquement par CP à fournir le service ferroviaire direct. Univar affirme avoir calculé ces dépenses à partir de la date de l’incendie. Ayant déterminé que CP n’était pas obligée de fournir le service ferroviaire direct pendant les première et deuxième pauses raisonnables, l’Office conclut que les dépenses supportées par Univar durant cette période ne sont pas imputables à CP. En conséquence, Univar pourra récupérer seulement les dépenses qu’elle a supportées en conséquence du manquement par CP à ses obligations en matière de niveau de services.

[77] Ayant établi le manquement par CP à ses obligations envers Univar, l’Office conclut que CP est tenue d’indemniser Univar de ses dépenses, à partir de la fin de la première pause raisonnable jusqu’au début de la deuxième pause raisonnable, ensuite à partir de la fin de la deuxième pause raisonnable jusqu’à ce que CP remette en état l’infrastructure endommagée et recommence à fournir efficacement le service direct à l’expéditeur ou jusqu’à ce qu’elle mène à bien le processus de cessation d’exploitation.

QUESTION 3 : L’OFFICE DEVRAIT-IL ACCORDER À UNIVAR L’ADJUDICATION DE SES FRAIS JURIDIQUES?

POSITIONS DES PARTIES

Univar

[78] Univar a demandé une indemnisation de ses frais juridiques jusqu’à la date du dépôt de sa demande auprès de l’Office. Univar affirme que l’alinéa 116(4)c.1) de la LTC donne à l’Office le pouvoir d’ordonner à une compagnie de chemin de fer d’indemniser un expéditeur des dépenses qu’il a supportées en conséquence du manquement par la compagnie de chemin de fer à lui fournir les services demandés.

[79] Univar fait également valoir que si l’Office ne lui accorde pas une indemnisation correspondant à la totalité de ses frais juridiques en vertu de l’alinéa 116(4)c.1), Univar peut les réclamer en vertu de l’article 25.1 de la LTC. Univar fait valoir qu’en vertu de cet article, l’Office a tous les pouvoirs de la Cour fédérale en ce qui a trait à l’adjudication des frais relativement à toute procédure prise devant lui.

[80] Univar indique que selon son pouvoir discrétionnaire d’adjuger des frais, l’Office pourrait tenir compte de plusieurs facteurs, y compris à savoir si le demandeur a un intérêt substantiel dans l’instance et si des circonstances exceptionnelles ou extraordinaires ont donné lieu à la plainte de l’expéditeur. Univar fait valoir que le cas présent est exceptionnel, car CP a non seulement manqué à ses obligations en matière de niveau de services, mais elle a aussi fait entièrement fi de ces obligations.

CP

[81] CP fait valoir que les frais juridiques réclamés ne sont pas des dépenses au sens de l’alinéa 116(4)c.1); il s’agit plutôt d’un compte, ou d’un compte estimatif, pour lequel il faut invoquer la capacité de l’Office d’adjuger des frais contre un défendeur comme CP, en vertu du paragraphe 25.1(2) de la LTC, dans des procédures judiciaires. Il ne peut pas y avoir de double comptabilisation, et les dispositions particulières ont préséance sur les dispositions générales dans le domaine juridique.

[82] CP soutient également que, pour toutes demandes d’adjudication de frais en vertu du paragraphe 25.1(2) de la LTC, le demandeur doit présenter des preuves démontrant la mauvaise foi de la part de CP, comme de la réticence à négocier, de l’indécision, ou encore un défaut de communiquer. CP affirme qu’aucune preuve de la sorte n’a été présentée, et qu’en tout temps, elle a agi de façon raisonnable, équitable et convenable.

Réplique d’Univar

[83] Univar affirme ne pas chercher à comptabiliser ses frais juridiques en double, mais plutôt à se voir indemniser de ses frais juridiques en vertu de l’article 25.1 de la LTC si l’Office ne prévoit pas le faire en vertu de l’alinéa 116(4)c.1) de la LTC.

[84] Univar réitère que les frais juridiques sont des dépenses au sens de l’alinéa 116(4)c.1) du fait que, pour reprendre les mots de cette disposition, il s’agit de dépenses qu’Univar a « supportées en conséquence du manquement par CP à ses obligations en matière de services ». Selon Univar, si CP n’avait pas maintenu son refus de recommencer à fournir le service ferroviaire, Univar n’aurait pas eu à engager des dépenses considérables pour qu’un avocat prépare sa demande. Univar affirme qu’elle peut donc recouvrer ses frais juridiques en vertu de la LTC. Univar fait de plus remarquer que sa demande de réclamation vise seulement ses frais juridiques jusqu’au moment du dépôt de sa demande, ainsi que ceux ayant couru pendant toute l’instance.

ANALYSE ET DÉTERMINATION

[85] L’alinéa 116(4)c.1) confère à l’Office le pouvoir d’ordonner à une compagnie de chemin de fer d’indemniser toute personne de dépenses qu’elle a supportées en conséquence d’un manquement à ses obligations en matière de niveau de services.

[86] Il convient ici d’interpréter la loi pour déterminer si cette disposition permet à l’Office d’ordonner à CP de rembourser à Univar ses frais juridiques dans le cas présent.

[87] Récemment, la Cour suprême du Canada a réitéré l’approche de l’interprétation de la loi dans l'affaire B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2017 CSC 6, au paragr. 21 :

« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ».

[88] Dans les circonstances de ce cas en particulier, la phrase clé de l’alinéa 116(4)c.1) est « d’indemniser toute personne lésée des dépenses qu’elle a supportées en conséquence du non‑respect des obligations de la compagnie ». L’Office conclut que l’interprétation la plus raisonnable de ce texte de loi est qu’elle vise les dépenses découlant directement d’un manquement en matière de services et non les frais juridiques liés à une demande contre une compagnie de chemin de fer pour ce manquement. Cette interprétation est renforcée par la présence d’une disposition claire et sans ambiguïté de la LTC concernant le pouvoir de l’Office d’adjuger des frais, à savoir le paragraphe 25.1(1), qui accorde à l’Office tous les pouvoirs de la Cour fédérale en ce qui a trait à l’adjudication des frais relativement à toute procédure prise devant lui. Il est improbable que le législateur ait eu l’intention que l’alinéa 116(4)c.1) serve de mécanisme en double qui permettrait aux parties de réclamer le remboursement de leurs frais juridiques, surtout à des taux potentiellement élevés, c.-à-d. une indemnisation complète, outre ce à quoi elles auraient droit aux termes des règles traditionnelles concernant les frais prévus par le paragraphe 25.1(1).

[89] De plus, l’Office note que les frais juridiques ne sont pas de nature entièrement compensatoire. Dans l'affaire Sherman c. Canada (Ministre du Revenu National - M.R.N.), [2004] CF n° 136, au paragraphe 8, la Cour d’appel fédérale a indiqué que l’objet des dépens n’est pas un remboursement complet de toutes les dépenses et débours d’une partie, mais bien de fournir une indemnisation partielle : un compromis entre indemniser la partie ayant eu gain de cause et imposer une charge excessive à la partie déboutée. En effet, la Cour suprême du Canada a indiqué dans Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 RCS 371, aux paragraphes 25-26, que les règles modernes d’attribution des dépens visent des objectifs divers outre le traditionnel objectif de l’indemnisation. Donc, comme l’alinéa 116(4)c.1) repose sur le principe d’adjudication d’une indemnisation complète des dépenses supportées, de telles dépenses n’incluent pas les frais juridiques, si le texte est bien interprété.

[90] En conséquence, pour toutes ces raisons, l’Office conclut que l’alinéa 116(4)c.1) ne prévoit pas l’indemnisation de frais juridiques.

[91] La pratique de l’Office concernant les réclamations de frais en vertu du paragraphe 25.1(1) consiste à adjuger des frais seulement dans des circonstances particulières ou exceptionnelles. L’Office conclut qu’Univar n’a pas fourni suffisamment de preuve pour démontrer que ce cas atteint ce seuil, et rejette donc la demande d’Univar d’adjudication de ses frais en sa faveur.

DIRECTIVE

[92] Ayant déterminé les périodes pendant lesquelles Univar a droit à une indemnisation de ses dépenses, en vertu de l’alinéa 116(4)c.1) de la LTC, l’Office accorde aux parties l’occasion de s’entendre sur le montant dû à Univar. Si les parties sont incapables d’en venir à une entente, l’Office ouvrira des actes de procédure pour rassembler les renseignements et calculer le montant de l’indemnisation à verser à Univar.

[93] L’Office accorde donc aux parties jusqu’à 17 h, heure locale de Gatineau, le 1er mai 2017, pour conclure une entente sur le montant d’indemnisation dû à Univar pour la période du 10 juillet 2015 au 10 mars 2016, et du 11 juin 2016 et en continu par la suite.

Processus des actes de procédure

[94] Si, au 1er mai 2017, les parties n’ont pas informé l’Office d’une entente intervenue sur l’indemnisation due à Univar, des actes de procédure s’ouvriront automatiquement. Dans un tel cas, Univar aura jusqu’à 17 h, heure locale de Gatineau, le 15e jour ouvrable après le délai ci‑dessus pour déposer une présentation auprès de l’Office et en fournir une copie à CP.

[95] La présentation d’Univar doit renfermer toute la documentation à l’appui de sa demande d’indemnisation de ses dépenses, pour la période entre le 10 juillet 2015 et le 10 mars 2016, et à partir du 11 juin 2016 et en continu par la suite, jusqu’à ce que CP recommence à fournir le service ferroviaire direct à Univar en remettant le pont Marpole en état, ou qu’elle mène à bien le processus de cessation d’exploitation. Dans ses documents à l’appui, Univar doit déposer une copie des factures des dépenses qu’elle réclame au cours de ces périodes, et tous autres documents pertinents, y compris des estimations ou des soumissions indépendantes et détaillées par article, concernant les dépenses qu’Univar continuera de supporter jusqu’à ce que CP recommence à fournir le service direct à Univar ou qu’elle mène à bien le processus de cessation d’exploitation.

[96] CP aura jusqu’à 17 h, heure locale de Gatineau, le 10e jour ouvrable après la date de réception de la présentation d’Univar pour déposer sa réponse auprès de l’Office et en fournir une copie à Univar. Pour que le traitement du cas soit efficace, il est important que les réponses soient complètes lorsqu’elles sont déposées auprès de l’Office. La réponse doit porter uniquement sur les arguments soulevés par Univar dans sa présentation.

[97] Univar aura jusqu’à 17 h, heure locale de Gatineau, le 5e jour ouvrable après la date de réception de la réponse de CP pour déposer une réplique auprès de l’Office et en fournir une copie à CP. La réplique ne peut soulever des questions ou arguments qui ne sont pas abordés dans la réponse, ni introduire de nouvelle preuve, sauf sur autorisation de l’Office à la suite d’une requête déposée par Univar en ce sens.

[98] Une fois que les actes de procédure seront terminés, l’Office se penchera sur la preuve au dossier et rendra une décision sur la requête d’indemnisation des dépenses d’Univar.

[99] Compte tenu de la nature de cette directive, l’Office reste saisi du volet de la présente instance qui a trait aux mesures de réparation jusqu’à ce que les parties l’avisent qu’une entente d’indemnisation a été conclue ou qu’il ait rendu une décision définitive sur l’indemnisation des dépenses supportées par Univar en conséquence du manquement par CP à ses obligations en matière de niveau de services, aux termes du processus des actes de procédure établi ci-dessus.

La présente décision est la version publique épurée de la décision confidentielle nCONF‑4‑2017 émise le 28 février 2017 qui ne saurait être rendue publique.

Membre(s)

Scott Streiner
Stephen Campbell
William G. McMurray
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